Mes girafes polaires,
Je t'avais laissé en plein suspens dans mon dernier billet et maintenant, tu meurs d'envie, je suis sûre de connaître la suite de mon inspection de la mort avec ma classe de psychopathes. Allez, installe-toi confortablement, ouvre-toi une bière (je ne te jugerai pas), ou fais-toi une tisane, c'est parti mon kiki.Le jour J, inutile de te décrire l'état de stress dans lequel j'étais. Je m'étais récité ma séquence 10fois dans ma tête le matin même, je connaissais tout ce que j'allais dire devant mes élèves, au mot prêt.
L'inspectrice devait venir me voir l'heure juste après la récréation du matin. A 10h10 donc. On s'est rencontrées pour la première fois en salle des profs. Elle était belle, elle était jeune. Elle sentait bon le sable chaud. Elle était en plus hyper sympa. Bref, si elle n'avait pas été mon inspectrice, je crois que je l'aurais invitée à dîner chez moi. Mais bon, c'était mon inspectrice.
La frayeur
Au moment d'aller chercher mes monstres dans la cour, je réalise à ma grande frayeur, que Carrie, l'élève psychopathe, celle qui ne devait pas être présente à cette séance de cours, celle que la CPE était censée voir en entretien, pour éviter que ma séance ne se termine en carnage, n'était pas rangée avec les autres élèves. Elle n'était pas dans le rang. Pourtant, je l'avais vue le matin même dans la cour, elle n'était donc pas absente.Mon sang ne fit qu'un tour. Mais où était-elle? C'est alors que la CPE vient à moi, paniquée: - Je suis désolée Frau Pruno, je ne sais pas où est Carrie! Je vais essayer de la trouver, bon courage!J'avais envie de me défenestrer. Comment faire si Carrie arrivait en retard et qu'elle franchissait la porte de ma salle avant que la CPE n'ait eu le temps de la trouver? Je l'imaginais déjà, entrant dans la salle, en mâchant son chewing-gum telle une vache normande, son sac à main brandi fièrement, refusant de s'excuser pour son retard.
Tant pis, il fallait y aller. J'emmenai donc mes élèves jusqu'à ma salle en tremblant. Je passai devant un bon nombre de collègues qui me lancèrent un regard compatissant. Je lisais dans leurs yeux: " Tu vas en chier, tu vas voir, mais ça va vite passer."
Au moment où j'allais rentrer dans ma salle, que vois-je? Carrie, à l'autre bout du couloir, s'apprêtant à venir dans mon cours! Oh my God! Que faire? J'enfonce la clef dans la porte, mes mains tremblaient. Carrie s'approchait de plus en plus de moi. C'est alors que le Messie est arrivé. J'entends un hurlement:
- Carriiiiiiieeeeee! Stop!!!!!! Dans mon bureau, immédiatement!
C'était la CPE, à l'autre bout du couloir, échevelée, rouge, transpirante, haletante. Elle avait dû parcourir tout l'établissement pour la chercher et elle venait de la trouver.
A ce moment là, je lui aurais bien roulé un patin. A la CPE. Pas à Carrie.
- Que se passe t-il avec cette élève? me demanda l'inspectrice, inquiète.
- Oh, ce n'est rien, elle avait rendez-vous avec la CPE
La séance
Une fois rentrés dans la salle, la séance se déroula à merveille. Pas un bruit, aucun bavardage. Les élèves se battaient pour participer. Je n'en croyais pas mes yeux. Ils étaient fantastiques. Je ne les avais jamais vus aussi appliqués, aussi motivés. A un moment donné, l'inspectrice prend un cahier au hasard, et il se trouve que le hasard fait bien les choses: il s'agissait du cahier du meilleur élève de la classe (je t'en ai déjà parlé ICI), celui qui corrigeait mes fautes en tableau. L'élève dont j'ai gardé le cahier d'ailleurs, tellement il était parfait. Des images de l'Allemagne partout, une écriture sublime, des recherches personnelles collées dans le cahier. Un orgasme pédagogique.- Oh, comme vous leur faîtes bien tenir leur cahier! me dit l'inspectrice avec admiration.
J’exultais. Si elle avait pris le cahier de Miss Donald, j'étais morte. Mon avenir professionnel s'est joué à peu de choses.
A la fin de la séance, après que les élèves furent partis, l'inspectrice marqua une pause, puis elle me dit:
- Je suis étonnée du rapport que vous avez avec vos élèves.
- Ah, vraiment? (j'étais blême)
-Oui.... Ils vous adorent!
J'ai failli m'étouffer à l'écoute de cette phrase. Je me suis bien gardée de lui dire qu'une semaine avant, une élève m'avait traitée de pute et qu'elle avait inscrit ce mot au tableau. Bref, c'est un détail ça....
Il s'en est suivi un entretien tout à fait positif et encourageant. J'adore mon inspectrice. Elle m'a donné confiance en moi et m'a confortée dans l'idée que ce métier était fait pour moi. Ses remarques bienveillantes et encourageantes m'ont fait beaucoup de bien. Et sa note aussi (bah oui, tu croyais quoi) .
Le lendemain, j'ai retrouvé ma classe. J'ai déposé les armes devant eux. J'étais un peu émue. Je leur ai dit:
- Écoutez les enfants, je voulais vous remercier du fond du coeur. Vous avez été adorables avec moi lors de cette inspection. Je ne pensais pas que vous pouviez vous comporter comme ça. Je ne sais pas quoi dire. Si, merci....
Ils m'ont tous regardée avec surprise tout d'abord, puis je les ai vus arborer un grand sourire, plein de fierté.
- Ben ... de rien Madame, c'est normal! On est contents pour vous! On savait que c'était votre inspection! (merde, j'ai raté mon coup)
Ils étaient étonnés et un peu gênés de me voir tout à coup si gentille et émue.
A partir ce ce jour, tout a changé: J'ai considéré cette classe autrement. J'ai arrêté de vouloir absolument prendre de la distance par rapport à eux, de rester neutre en toutes circonstances, comme on nous l'apprend à l'IUFM. Pas d'affect, surtout ne pas rentrer dans l'affect en ZEP, sinon vous êtes morts!
C'est tout le contraire en fait. Il faut rentrer dans l'affect, sinon tu es mort.
C'est quand j'ai arrêté de vouloir être la prof froide et distante que tout a changé; je les ai apprivoisés et ils m'ont apprivoisée.
Bien entendu, ils ne sont pas devenus parfaits du jour au lendemain, mais nos relations se sont apaisées. Je ne m'énervais plus de leurs bavardages, écarts de conduite, mais je les prenais avec humour et bienveillance. Je restais à la fin du cours pour discuter avec eux, au lieu de m'enfuir après la sonnerie comme je le faisais avant.
Cette classe est devenue ma classe préférée. Des liens solides se sont noués entre nous. Je les ai adorés. Lorsqu'ils sont partis au lycée, ils m'ont cruellement manqués. Étant la seule prof d'allemand de l'établissement, je les ai suivis tout au long du collège. Certains ont continué à venir me voir, je les ai même pris en sortie lors d'un marché de Noël en Allemagne alors qu'ils étaient au lycée en première!
Aujourd'hui,je pense encore à eux, il y avait de très bons élèves dans cette classe, et des moins bons. J'ai découvert en eux des petites pépites d'or à l'état brut. Je ne retrouve plus d'élèves comme cela aujourd'hui. Des élèves qui doivent se battre pour sortir de leur milieu, pour réussir. D'ailleurs, certains ont brillamment réussi: lycée européen, bac européen (en allemand héhé), mention très bien au bac. Je suis fière d'eux.
Je vais te laisser maintenant, j'espère que tu as pris plaisir à lire ce billet qui me tient à coeur. J'espère également t'avoir aidé à plonger dans le quotidien des profs qu'on juge trop souvent trop durement. On a beaucoup de vacances, c'est vrai, mais elles sont nécessaires pour pouvoir supporter à l'année des élèves difficiles, des classes pénibles, des moments de tension extrêmes. Heureusement qu'on peut décompresser un peu avec ces vacances. Pourtant, le plus souvent, lorsque cela se passe mal avec une classe, on emporte ses soucis le soir à la maison, on ne peut jamais vraiment se déconnecter du travail. Le matin, des collègues ont la boule au ventre à l'idée de retrouver une classe qui va les malmener. Certains pleurent en cours.
Bref, c'est pas la joie pour tout le monde.
Donc, peace and love and a lot of comprehension please. (j'ai des talents cachés en anglais aussi).
Voilà, je te bécote, à bientôt!
C'est beau comme du Bégaudeau hé ! https://www.youtube.com/watch?v=5ftLgbUXqNU
RépondreSupprimerOn m'appelle le Proust de la blogosphere.
SupprimerMagnifique texte. Je suis émue et je te retrouve avec tout l'amour que tu avais pour tes élèves. Bravo
RépondreSupprimerEt que je n'ai plus maintenant. Non, je déconne!
SupprimerDes inspections (et des inspectrices) comme ça, on en rêve ! Je me suis bien retrouvée dans ton article (la frayeur DU cahier choisi, la participation des élèves...).
RépondreSupprimerHé hé! Oui, on a tous vécu ça je pense!
SupprimerOn s'y croirait ! Mais comment fais-tu pour travailler avec des enfants???!? ^^ Une telle abnégation, ça mérite le respect... bises
RépondreSupprimerL'abnégation, voilà, c'est tout moi ça! Je ne suis qu'altruisme ;-)
SupprimerJ'aime beaucoup ton article. J'étais le genre "bonne élève qui traîne avec les mauvais" et j'ai souvent été surprise par ces profs qui semblaient nous détester puis qui ont fini par s'apaiser et nous prendre avec nos défauts et nos qualités. Et étrangement en lisant ton article je me rend compte que c'est ce que ressentent les profs !
RépondreSupprimerJe suis persuadée que ça ne doit pas être un boulot facile et j'admire vraiment les professeurs car je sais à quel point les élèves peuvent être méchants.
Bon courage.
Merci pour ton message! Oui, ils peuvent être méchants, mais c'est loin d'être la majorité.. Quand on est bienveillants envers eux, c'est rare qu'ils soient méchants 😉
SupprimerBon sang que j'ai ri ! Je me suis rappelée quand tu me l'avais raconté:l'inspectrice,la larme à l'oeil "ce cahier,c'est une oeuvre d'art". Et la Cpe,en mode "code rouge,la taupe est sortie de son trou je répète la taupe est sortie de son trou".
RépondreSupprimerJe trouve que cette expérience illustre bien le fait que lorsqu'on arrive à sortir de son conditionnement premier,on parvient à découvrir les gens tels qu'ils sont,et les apprécier,bien qu'ils soient a priori bien différents de nous [purée en me relisant je me dis,on dirait Jean-Claude Van damme qui parle !]
Oh be t'aime ma poulette! Et j'aime tes commentaires, j'ai l'impression de t'entendre parler!
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